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A cheval sur le dos des oiseaux : un cœur simple...

  • Écrit par : Christian Kazandjian

A chevalPar Christian Kazandjian - Lagrandeparade.com/ La pièce, A cheval sur le dos des oiseaux, donne la parole à travers le récit d’une femme, taxée de bête, à tous ceux que les institutions rejettent vers les marges.

Assise sur une chaise, elle dévide le cours de sa vie. Une vie pleine de trous, une vie sous surveillance. Depuis qu’elle a dix ans, Carine Bielen n’a connu que centres d’accueil, convocations, questionnaires et diagnotics. Autant de déchirures qui l’ont séparée de ses parents, de la moitié d’une fratrie de huit. Elle ne se plaint pas, non. Elle rit souvent de ses pauvres sorties verbales ; elle ne comprend pas toujours les mots et les situations qu’on lui jette au visage : n’a-t-elle pas été déclarée débile ; elle a fini par l’assimiler. Elle raconte, ingénument, les épisodes de son existence étriquée, face à l’autorité (un juge, une assistante sociale, la police ?). Exclue en quelque sorte de la société, elle est, de plus, privée de son immense amour pour son fils Logan, qu’elle a eu sur le tard, quadragénaire déjà, avec un homme qui ne souhaitait pas être père. Elle porte toute son énergie vers cet enfant-providence, la seule chose qu’elle ait vraiment possédée, la seule qui ne lui « fait pas de la misère», comme l’alcool auquel elle cède parfois. Elle n’est pas malheureuse : elle a un toit, une petite pension, elle n’a plus faim, ni froid, comme durant les premières années passées en famille. Elle sait apprécier ces petits avantages que n’ont pas eu ses parent et ses jeunes frères en sœurs. Elle parle avec simplicité des trois qui sont morts, de Patrick qu’elle a aimé comme cette mère qu’elle n’était pas encore. Mais, un jour, un accident domestique, de ceux qui proviennent partout, bouleverse un bonheur tout simple : on l’éloigne de son fils, de sa raison de vivre, de ce havre qui lui permet de ne pas sombrer dans l’atonie, la déchéance, cette enfant pour qui elle dispense un amour plus vaste que le ciel qu’explorent les oiseaux que tous deux admirent.

Un bloc de candeur et d’humanité

A cheval sur le dos des oiseaux de Céline Delbecq (quel beau titre !) est de ces textes qui bouleverse, car il taille au scalpel dans la chair de la société, livre à cru la vie des êtres que le malheur accable. Son héroïne, car ça en est vraiment une, dévoile, dans son infinie candeur, ce que peuvent subir, les « perdants », les victimes de la pauvreté, car ce sont, dans leur immense majorité, les gens pauvres que l’on place sous, tutelle, protection juridique : la pauvreté est source de retards cognitifs, d’addictions létales, de psychoses. Par la voix de Carine, on pénètre ce monde des marges, sans voyeurisme, ni charitable compassion ; on rit à des anecdotes somme toute banales, puis on cède à une salutaire émotion. Cette femme est un monument de courage, à sa façon, et d’amour. Un bloc d’humanité. Elle est vivante dans un univers où les chiffres remplacent le jugement, un univers qui penche de plus en plus dangereusement vers la dictature de l’intelligence artificielle, celle de l’IA après celle du QI.

Une vie pleine de trous

Ingrid Heiderscheidt, dans ce monologue d’une heure, restitue, tout en nuances, l’épaisseur de cette femme, si proche, si éloignée de nos parages, de cet être invisibilisé. On suit le parcours d’une existence cahotique dans ses mains qui s’étreignent, son front qui plisse, sous la poussée des angoisses ou d’une intense réflexion. Le décor, une scène vide avec une chaise et une fontaine d’eau, donne toute son importance à ce qui se dit ; Il place le personnage face à un interlocuteur invisible, la société toute entière, qui juge plus qu’elle ne cherche à comprendre. La lumière qui baigne en douceur le récit du vol sur le dos des oiseaux, devient un couloir d’un blanc brutal, une voie sans issue, avec l’intrusion, dans l’intimité du foyer, de la loi qui dicte et conduit à la résignation. Un spectacle qui donne à écouter la parole de ceux que les normes sociales ont rendue inaudible.

A cheval sur le dos des oiseaux
Ecrit et mis en scène par Céline Delbecq
Avec Ingrid Heiderscheidt

Dates et lieux des représentations: 

- Du 7 au 26 juillet 2023 à 16h30 au Théâtre des Halles. Chapelle (festival off d’Avignon 2023), ( 04.32.76.24.71.)


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