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Jacques Weber, de scène en livre…

  • Écrit par : Serge Bressan

weberPar Serge Bressan - Lagrandeparade.com / Théâtre, cinéma, télévision, livres… Depuis bientôt cinquante-cinq ans, Jacques Weber passe de l’un à l’autre avec agilité.

On le surnomme « le monstre sacré » du théâtre français ou encore « le colosse », il est tenu pour un des grands interprètes de Cyrano de Bergerac, a tourné avec des réalisateurs parmi les plus fameux du cinéma mondial et entretient le désir de retourner prochainement sur un plateau de tournage. Il écrit aussi, et nous a glissé récemment un livre enchanteur : « On ne dit jamais assez aux gens qu’on les aime ». A 73 ans, le physique d’un troisième ligne aile au rugby, Jacques Weber confie ne se sentir vraiment comédien que depuis un an ou deux, et qu’il écrit mais qu’il n’est pas écrivain. De ses mots transpirent l’intelligence, la sincérité, l’humilité. La flamboyance, aussi. Rencontre avec quelqu’un de bien…

Depuis le début de cette année, vous n’arrêtez pas ! Une pièce de théâtre, un spectacle, un livre, l’adaptation pour la télé du « Mariage de Figaro », à nouveau le spectacle cet été en Avignon tout en travaillant sur la mise en scène et les répétitions de « Ruy Blas », la pièce de Victor Hugo que vous présenterez à Paris en septembre. Quel est donc votre secret ?
Contrairement à Pierre Arditi qui dit ne pas dormir, moi je dors bien ! Par contre, je suis un lève-tôt et il faut je dorme… Je n’estime pas avoir une puissance de travail exceptionnelle. Lorsque je joue, j’aime bien avoir ma journée pour rêver à ce que je dois faire le soir, pour vagabonder avant d’entrer sur scène… j’ai de plus en plus besoin de rêver, de marcher… Pour moi, ce n’est pas du travail. Parfois, il y a des moments de chauffe et c’est vrai que j’enchaîne beaucoup. C’est souvent du théâtre, c’est assez lourd. Mais en fait, simplement, je fais mon métier, chaque chose a son rythme et son temps, je n’ai pas l’impression d’être surchargé de travail…

WeberJustement, comment travaillez-vous ?
Sauf quand j’écris, je prends très peu de notes. Je flâne, je rêve et, donc, j’espère penser à peu près correctement. C’est à partir de là que je fais mon travail de mise en scène. J’ai le texte, je le lis, puis je me balade et j’y pense encore et encore. J’ai parlé avec des neurologues, ils me disaient que la marche ou toute activité physique est bénéfique à la mémoire et à la pensée…

Vous avez écrit plusieurs livres depuis « A vue de nez » en 1985, mais jamais, a-t-on l’impression, vous n’avez eu un si bel accueil qu’avec « On ne dit jamais assez aux gens qu’on les aime »…
Très honnêtement, je ne sais pas… Je ne m’en occupe guère, d’ailleurs devrais-je le faire… Je ne sais pas si ce livre est bien accueilli par le public, j’espère que oui ! En ce qui me concerne, parce que je le veux, parce que je le souhaite, je crois que je progresse, que j’écris mieux. Peut-être même que j’écris bien. Tout ça ne veut pas dire que l’on est écrivain simplement parce que l’on commence à savoir bien écrire. C’est totalement différent, j’ai encore à apprendre la narration, la structure narrative… voilà pourquoi je n’envisage pas encore le roman.

Pour vous, qu’est-ce qu’être écrivain ?
Ecrivain, c’est un métier. Et moi, mon métier c’est comédien. Ecrivain ou comédien comme métier, c’est consacrer toute sa vie à ça. Et moi, j’écris mais je ne suis pas écrivain ! Par contre, j’ai une grande envie de me dire un jour : « Tiens, ça y est, je suis écrivain ». C’est peut-être de l’orgueil, peut-être par rapport à mon enfance, à ma famille, à mon père qui était un grand physicien, à mon frère pour lequel j’avais une très grande admiration… Par mon métier, je baigne dans les grands textes. Et oui, j’ai envie de creuser ce sillon de l’écriture.

Pour éprouver le bonheur de trouver le bon mot ?
Oui, pour la puissance du mot. Aujourd’hui, l’oralité est devenue le support d’une pulsion et non plus d’une pensée, et c’est un des grands drames de notre époque. Il suffit de voir comment on tracte la langue dans les SMS. La précision d’un mot, c’est la précision de la pensée donc l’accès à une réelle sensibilité du monde. Rien n'est plus beau que le mot exact, et dans ce domaine, j’ai un maître absolu ; c’est Gustave Flaubert. Je suis fou de cet homme et de son paradoxe entre sa « Correspondance » et son œuvre littéraire.

[bt_quote style="default" width="0"]Rien n'est plus beau que le mot exact, et dans ce domaine, j’ai un maître absolu ; c’est Gustave Flaubert. Je suis fou de cet homme et de son paradoxe entre sa « Correspondance » et son œuvre littéraire.[/bt_quote]

weberQu’a déclenché l’écriture d’« On ne dit pas assez aux gens qu’on les aime » ?
Très honnêtement, je n’avais pas très envie de me raconter moi. Je suis tombé par surprise sur la chanson de Louis Chedid, elle m’a troublé par sa simplicité, par son évidence. Alors, je me suis dit : « Ben voilà, j’avais envie de vous dire que j’ai aimé telle personne, tel animal, que j’aime telle personne, tel animal ». J’avais le titre, j’ai voulu voir ce qui allait se passer. Et j’ai laissé ma mémoire faire ce qu’elle veut, capricieuse, nonchalante, désinvolte, oublieuse aussi… Je l’ai laissée faire son choix, ici et maintenant. Il y a un désordre absolu dans ce livre, je passe au sens propre du terme du coq à l’âne. Se baladent dans ces pages un chien, un cheval, Nénette l’orang outan du Jardin des Plantes à Paris, et les monstres sacrés que j’ai eu la chance de connaître, de rencontrer et aussi des personnes que les gens ne connaissent pas du tout. A partir de là, s’agrègent des souvenirs personnels, évidemment…

Quel est, selon vous, la place de l’artiste dans notre société ?
Je peux paraître discret mais quand j’ai quelque chose à dire, je le dis. On prétend souvent que les artistes n’ont pas à s’exprimer sur la place publique. C’est tout le contraire : nous ne cessons de nous exprimer par notre travail et, en même temps, si on m’interroge, je suis comme nous tous un homme et un citoyen. Mais si on s’exprime, il faut être à la hauteur de la question et de la réponse qu’on veut donner aux gens. Ne pas dire n’importe quoi, ne pas avoir une révolte pulsionnelle…

[bt_quote style="default" width="0"]En tant qu'artiste, si on s’exprime, il faut être à la hauteur de la question et de la réponse qu’on veut donner aux gens.[/bt_quote]

En quelques mots, comment définiriez-vous Jacques Weber ?
Je crois être une personne de bonne compagnie, toujours respectueux de tout le monde…

Un livre et un spectacle

Un livre

Il est de délicieux hasard. Par exemple, un jour entendre une chanson, son titre : « On ne dit jamais assez aux gens qu’on les aime ». La réaction est immédiate : voilà ce que je dois écrire. Il se trouve que Jacques Weber tournait autour d’une nouvelle envie d’écriture. Sans trop savoir sur quoi ni qui, après « A vue de nez » (1985), « Molière. Jour après jour » (1995), « Cyrano, ma vie dans la sienne » (2011) ou encore « Paris-Beyrouth » (2020). Alors, cette chanson, ce titre… Une année de travail, une idée fixe et un but : parfaire l’écriture. Résultat : « On ne dit jamais assez aux gens qu’on les aime ». Raconter les chemins d’une vie, l’enfance (avec un épisode douloureux entre l’enfant et un homme d’église, un événement rapporté avec une retenue cinglante), l’adolescence, l’âge adulte. Raconter aussi les coulisses de ce monde théâtral et cinématographique. Et aussi tous ces gens qu’il a aimés, qu’il aime. Des connu.e.s, très connu.e.s comme Grace de Monaco, le couple Montand- Signoret (ah ! ce réveillon dans la maison de campagne), Catherine Deneuve, Isabelle Adjani, Marcello Mastroianni, Francis Huster, Jacques Villeret ou encore Gérard Depardieu… Des anonymes. Des animaux aussi, telle cette fabuleuse Nénette- la grand-mère orang-outang du Jardin des Plantes à Paris… Trop souvent, les « livres de mémoires » commis par des comédien.ne.s sont d’une banalité affligeante. Il n’en est rien avec Jacques Weber, physique de granit et âme « impressionnable » : nourri aux mots de Molière et Shakespeare, il nous offre un grand livre d’amour et de mélancolie…

la scalaUn spectacle

A la question « Quelle est l’originalité de ce spectacle ? », tout sourire Jacques Weber répond : « Je ne suis pas seul sur scène ! Je ne suis pas accompagné. Nous sommes ensemble, avec deux musiciens. Un accordéoniste célèbre dans le monde, Pascal Contet, et Greg Zlap, qui était l’harmonica de Johnny Hallyday et l’un des plus grands joueurs d’harmonica au monde. Et j’ai la chance de jouer avec eux ». Le spectacle est titré « Weber à vif », il a été présenté en début d’année à Paris puis joué quelques dates en province. Ne s’imaginant pas rester inactif l’été durant, Jacques Weber emmène donc ses deux complices en Avignon et s’installe, le temps du Festival, dans la belle salle de La Scala. « Il ne s’agit plus de musique accompagnant un texte mais bel et bien de la rencontre de trois amis qui partagent des passions, des amours, des émotions, celles de leur vie, de nos vies », précise le comédien. Pendant une heure et quinze minutes, il ne vient pas sur scène cabotiner comme d’autres de ses confrères- Weber, lui, propose une saga musicale et poétique pour mieux encore servir les œuvres et les mots de grands de la littérature mondiale. Ainsi, il présente des extraits de textes, ouvre avec Tom Stoppard, boucle avec Malcolm Lowry en passant par, entre autres, Claudel, Courteline, Rostand et la tirade des « Non merci » dans « Cyrano de Bergerac », Hugo, Flaubert, Antonin Artaud, Camus, Marguerite Duras et même Raymond Devos évoquant « le dédoublement de la personnalité »… Comme peu, Jacques Weber sait se mettre en retrait des textes… pour mieux les servir, tout en glissant au fil de cette saga musicale des réflexions personnelles sur ces textes et aussi sur la langue française ou encore ses expériences théâtrales…

« On ne dit jamais assez aux gens qu’on les aime » de Jacques Weber. Editions de L’Observatoire, 258 pages, 21 €.

« Weber à vif ». Avec Jacques Weber, Pascal Contet et Greg Zlap. La Scala Avignon, du 7 au 29 juillet (15h45), sauf le lundi.

Crédit-photo des deux portraits : Térèze Wysocki


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