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L'établi : une immersion polyphonique et initiatique dans le militantisme de mai 68

etabliPar Odette Martinez Maler - Lagrandeparade.fr/ 50 ans après mai 68, qu’avons-nous à entendre des idéaux qui ont porté plusieurs centaines de personnes désireuses de changer le monde pour le rendre plus juste et plus humain ?

Et parmi elles, une poignée de jeunes intellectuels qui, dans le sillage de l’explosion de mai, ont choisi de « s’établir » dans les docks et les usines pour comprendre de l’intérieur la réalité vécue par les ouvriers des grandes entreprises et pour tenter d’y fomenter des formes de résistance à l’asservissement. Comment l’évocation de ce temps ouvert à l’imagination du possible peut-elle aujourd’hui raviver l’esprit de rébellion et actualiser - dans une société désenchantée voire plombée par la résignation - ce désir d’émancipation ? Telles sont les questions que nous pose la Compagnie du Berger qui présente jusqu’au 1er juillet au Théâtre de l’Épée de bois une adaptation de L’établi le texte que Robert Linhart publia en 1978 aux éditions de Minuit : un texte qui tient à la fois du voyage initiatique, du témoignage de militant, de l’analyse sociologique des mécanismes de la domination sociale.

La mise en scène d’Olivier Mellor nous plonge dans ce mouvement collectif à travers l’expérience vécue par le narrateur de L’établi. Elle épouse le point de vue de ce dernier : un jeune philosophe normalien lié au cercle des militants marxistes- léninistes de la rue d’Ulm qui ont rejoint la « Gauche prolétarienne » fondée par Benny Levy à la fin de l’année 68 et qui s’est embauché comme OS à l’usine Citroën de la porte de Choisy en banlieue parisienne. Tout comme le texte de Robert Linhart, cette mise en scène retrace la découverte progressive du monde violent de l’usine par l’établi : la chaîne, l’épreuve physique des rythmes intenables, le mépris d’hommes réifiés, humiliés, soumis aux machines, les rapports de pouvoirs au sein de la hiérarchie, les logiques racistes qui président aux « qualifications ». Sur la scène de modernes Sisyphe s’échinent à répéter les même absurdes tâches dans un fracas de ferraille qu’amplifie par moment la musique jouée en direct sur le plateau. Sur cette condition ouvrière, la mise en scène n’adopte pas un point de vue extérieur encore moins un regard en surplomb, elle incarne au contraire le vécu subjectif d’un engagement et elle en traduit les différentes facettes: l’élan, le découragement, le doute sur la capacité de mener à bien un véritable travail politique mais aussi l’émotion quand des gestes infimes de compagnons d’atelier tissent au quotidien des solidarités et la joie quand - face à la décision patronale de faire rembourser aux ouvriers les acquis de mai 68 sous forme de travail non rétribué- s’organise le « comité de base » qui impulse la grève. Au fil des scènes qui composent l’intrigue, les comédiens donnent corps à des hommes singuliers et attachants : Mouloud le manœuvre qui travaille avec précision mais pense toujours à sa femme et à ses enfants laissés en Kabylie, Georges le yougoslave aristocratique et solidaire; le vieux Simon déclassé, révolutionnaire rentré, écrasé par la peur de ne pouvoir subvenir aux besoins de sa femme malade; Christian, Sadok, Primo l’italien antifasciste…et autour de chacun d’eux par touches, se révèlent peu à peu des trajectoires uniques, des mondes particuliers. Mais les tableaux dessinent aussi sur un registre satirique, la silhouette grotesque d’Antoine le chef d’équipe hanté par la peur de plus chef que lui , celle du contre -maître Gravier. Enfin surplombant la poussière, le bruit et la crasse des ateliers, les projections murales de photographies et d’archives cinématographiques font apparaître, ceux qui, tout en haut de la pyramide, décident du sort des « hommes d’en bas » telles d’effroyables figures de dieux tout puissants se jouant cruellement des pauvres vies humaines.

Pour les nécessités de la mise en espace théâtrale, le texte narratif de Robert Linhart écrit à la première personne devient polyphonique : Mouloud, Simon, Christian, Sadok, Primo reprennent à leur compte la voix du narrateur, sa lecture critique de l’humiliation rationnalisée mais aussi ses cris de rage. Sur la scène, une communauté éphémère se forge ainsi qui brouille les frontières et les distances entre les individus, comme si la voix du narrateur, affranchie, traversait les corps des autres personnages, leur donnait voix. Comme si la magie du théâtre faisait de ceux que la barbarie douce de l’exploitation capitaliste change en objets jetables, des sujets de parole, de rêve, d’histoire.

L'ETABLI
Auteur : Robert Linhart
Mise en scène : Olivier Mellor
Distribution : Aurélien Ambach-Albertini, Mahrane Ben Haj Khalifa, François Decayeux, Hugues Delamarlière, Romain Dubuis, Éric Hémon, Séverin “Toskano” Jeanniard, Olivier Mellor, Stephen Szekely, Vadim Vernay et la voix de Robert Linhart

Durée : 1h45

Dates et lieux des représentations: 

- Du samedi 9 juin 2018 au dimanche 1 juillet  au Théâtre de l'Epée de Bois - Cartoucherie (Bois de vincennes, 75012 Paris) - Jeudi, vendredi et samedi à 20h30, samedi et dimanche à 16h

- À 12H50 : DU 6 AU 29 JUILLET 2018 - RELÂCHES : 9, 16, 23 JUILLET - à Présence Pasteur ( 13, rue du Pont Trouca, 84000 - Avignon)- FESTIVAL AVIGNON OFF 2018

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