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Guerre et Térébenthine : une mise en scène épidermique d’un roman belge poignant

  • Écrit par : Julie Cadilhac

Guerre et TérebenthinePar Julie Cadilhac - Lagrandeparade.fr/ Ecrivain belge néerlandophone, Stefan Hertmans se plonge un jour dans des centaines de pages de notes laissées par son grand-père. Il y est question d’une enfance dans la misère à Gand, d’un rêve de devenir peintre, puis de l’horreur de la Grande Guerre dans les tranchées de Flandre.

Un homme, une existence emblématique qui a traversé tout un siècle. Au moyen d’une écriture aussi poétique que vivante, on découvre que la vie de ce grand-père, nommé Urbain Martien, s’est construite à la fois sur ce traumatisme de guerre mais aussi autour de son amour pour la peinture et pour Maria, une jeune femme trop tôt perdue à cause de la grippe espagnole et que l’on remplacera par une soeur aînée, Gabrielle, pour laquelle on aura une affection attendrie mais limitée : « Il a dit oui puisqu’on le lui demandait. Â»

La Needcompany s’est emparée de ce récit empreint de sensibilité avec son habituelle singularité et son goût féru pour un théâtre impliqué. Elle restitue avec pertinence ce parcours d’homme marqué par la cicatrice indélébile qu’a laissée la Première Guerre mondiale dans notre histoire collective et individuelle. Portée par l’époustouflante actrice-conteuse Viviane de Muynck et l’extraordinaire musique de Rombout Willems qui se joue en live sur le plateau, on plonge dans une émouvante saga familiale au coeur du siècle dernier.

Viviane de Munck est là, avec les mots de Stefan Hertmans ; sa voix rocailleuse s’accompagne d’un plateau qui s’affaire peu à peu ; Benoît Gob est Urbain et il ne cessera de dessiner - avec talent- sur sa tablette graphique ; Grace Ellen Barkey, en habit d’infirmière de la croix-rouge, est L’Ange de l’Histoire, le coeur qui soubresaute et s’accroche aux rideaux. Derrière, presque à l'ouverture, des anonymes en bleus de travail font entendre la fonderie. Ils endosseront d'autres costumes ensuite, pour suivre les caprices de cette destinée. Tous compagnons de scène, mi-acteurs bienveillants, mi-personnages, ils entrent progressivement dans le récit, comme nous spectateurs... car elles pénètrent dans les veines, les histoires racontées par la Needcompany. Elles s’imposent par leur rythme, leurs métaphores, leurs couleurs et leurs zones d'ombre.

Viviane de Munck ne balance pas son texte de manière académique et appliquée…il semble que les mots naissent en elle - ils sont d’ailleurs parfois hésitants, se reprennent sur une prononciation, s’autorisent des apartés, puis passent de l’omniscience à la focalisation interne, s’incarnent dans les personnages, redeviennent outils de description ou de narration mais toujours, toujours, s'appliquent à laisser percer l’oeil curieux et poétique du peintre. Jan Lauwers a ainsi choisi une mise en scène synesthésique ; les images, les sons, les sensations tactiles ne cessent d’exploser sur le plateau en feu d’artifices d’émotions - qui secouent attention!.

Autour de la performance impressionnante de Viviane de Munck, le reste de la troupe a l’épaisseur du papier mais l’écho puissant des mots. Spectres changeant de rôles au gré de l’histoire contée, ils incarnent tantôt les cauchemars des divers enfers vécus par Urbain, tantôt les minutes - rares - de bonheur extatique, et endossent quelquefois le visage d'une figure connue de ce grand-père, comme pour réancrer cette épopée humaine dans une réalité que l’absurdité terrible du champ de bataille et des malheurs traversés tient à distance.

La mise en scène se déploie en touches impressionnistes et le spectateur se doit d’accepter de lâcher-prise et d’essayer de « ressentir Â» les vibrations du plateau et de regarder l’histoire par le truchement des émotions d’Urbain. Ainsi doit se vivre le fabuleux épisode de la structure métallique au visage de Madone, baignée de lumières et de brouillards crépusculaires. Ou encore lorsque Viviane devient lectrice, impassible au milieu du chaos, et que l’Histoire gronde autour, prend des airs d’apocalypse et qu’ « il pleut des balles de tous les côtés Â». Ou encore lorsque l'on danse en bord de scène pour oublier ou que l’on fait l’amour en tremblant à la Libération…

Sonorement parlant, c’est aussi réussi qu’éprouvant. Véritable toile vivante qui mobilise tous nos sens, « Guerre et Térébenthine Â», de par l’esthétique percutante de la Needcompany, ne nous épargne rien : détonations, cris, gémissements, agonies pourront heurter tous ceux qui ne se préparent pas à une expérience théâtrale épidermique.

[bt_quote style="default" width="0"]Il danse comme un imbécile pour sauver sa peau.[/bt_quote]

Regarder les nuages gris qui défilent, vivre l’étourdissement assourdissant de la douleur de sabots qui fondent au milieu de projections de lumière-lucioles, entendre la vie brûlante respirer, s’étouffer, haleter, s'étonner et sourire devant le passage d’un bestiaire de toiles surprenantes, s'amuser de l’espièglerie des tableaux joueurs qui s'animent, s'accrocher aux draps qui deviennent trop souvent linceuls, entendre «  le souvenir saisissant d’une autre vie invraisemblable. Â» Voilà un peu ce que propose Guerre et Térébenthine.

C’est l’essence folle de la vie qui vibre toujours dans les créations de la Needcompany. Une vie à la fois profondément ancrée dans le réel et teintée de surréalisme indispensable pour ne pas totalement sombrer, intrinsèquement paradoxale et mêlant sans cesse la violence et la connivence, le sérieux et l’ironie, et ici...le sang et la gouache. Alors parfois le temps y devient une donnée monotone et la « durée perd sa direction Â»â€¦mais c’est pour mieux épingler toute la nature tragique de ce XXème siècle qui, comme Urbain, « s’est empêtré dans un buisson épineux Â» et y « est resté accroché comme un animal blessé. Â» Alors, heureusement, nous sommes au théâtre et tout disparaît à la fin, même les décors. Et c'est la fin de l’histoire…mais pas de l’Histoire, malheureusement, qui ne manque pas d'inspiration pour composer de nouvelles toiles tragiques...
Allez voir Guerre et Térébenthine!

 Guerre et Térébenthine 
[Oorlog en Terpentijn]
Editions : Gallimard
Collection : Du monde entier
Auteur : Stefan Hertmans
Trad. du néerlandais par Isabelle Rosselin
Collection Du monde entier, Gallimard
Parution : 01-10-2015

Guerre et Térébenthine
Mise en scène, scénographie, adaptation théâtrale: Jan Lauwers

D’après le roman "Guerre et Térébenthine" de Stefan Hertmans, paru chez Gallimard. 

Musique : Rombout Willems
Avec 
Viviane De Muynck
 et 
Premier Sergent-major Urbain Joseph Emile Martien - Benoît Gob
L’Ange de l’Histoire - Grace Ellen Barkey
Ouvrier, Soldat, Maria Emelia Ghys - Sarah Lutz
Ouvrier, Soldat, Maria Emelia Martien - Romy Louise Lauwers (remplace Mélissa Guérin)
 Ouvrier, Soldat, membre de la famille - Elik Niv
Ouvrier, Soldat, membre de la famille - Maarten Seghers
Ouvrier, Soldat, membre de la famille - Mohamed Toukabri
Général, pianiste - Alain Franco
Aumônier, violoncelliste - Simon Lenski 
Soldat, violoniste - George van Dam
Toutes les peintures et dessins ont été réalisés par Benoît Gob

Costumes : Lot Lemm

Dramaturgie, sous-titrage : Elke Janssens

Conception éclairages : Ken Hioco

Son : Ditten Lerooij, Dries D’Hondt

Production : Marjolein Demey
Stagiaire P.U.L.S. Bosse Provoost

Assistante costumes : Lieve Meeussen

Moniteur d’escrime : Jacques Cappelle

Stagiaire : Josephine Dapaah

Construction décors : Toneelhuis

Finition décors : Simon Callens

Soutien logistique : Irmgard Mertens

Décor, éclairage : Saul Mombaerts, Tijs Michiels

Introduction dramaturgique : Erwin Jans

Agent de presse : Liesbet Waegemans voor Panache

Photographie : Maarten Vanden Abeele
La traduction française de ‘Guerre et térébenthine’ établie par Isabelle Rosselin © Editions Gallimard
Financement Tax Shelter :
Casa Kafka Pictures empowered by Belfius 
Isabelle Molhant, Valérie Daems, Christel Simons
Une production Needcompany. 
Coproduction: Toneelhuis (Anvers), Festival de Marseille et La province de Flandre occidentale. Réalisé avec le soutien du Tax Shelter du Gouvernement fédéral belge et des autorités flamandes.

Le site de la Needcompany

Dates et lieux des représentations:
- Les 29 et 30 mai 2018 au Théâtre Molière - Sète ( 34) - AVANT-PREMIERE
- Les 22 et 23 juin 2018 à POZNAN - Malta Festival Poznan
- Les 28 et 29 juin 2018 au Festival de Marseille PREMIERE
- Les 14 et 15 septembre 2018 à HELLERAU - European Center for the Arts Dresden
- Les 05 novembre 2018 au CC De Spil
- Le 08 novembre 2018 à Concertgebouw Brugge
- Le 10 novembre 2018 au CC Strombeek
- Le 15 novembre 2018 à MONS Mars
- Les 22, 23 et 24 novembre2018 au Kunstencentrum Vooruit
- Le 01 décembre 2018 au CC De Werf - Aalst
- Le 05 décembre2018 à de Warande
- Le 07 décembre2018 à Schouwburg Kortrijk
- Le 09 décembre 2018 au Cultuurcentrum Zwaneberg
- Le 18 décembre 2018 au CC Sint-Niklaas
- Les 23, 24 et 25 janvier 2019 au Théâtre National Wallonie-Bruxelles
- Les 28 et 29 mars 2019 au Teatros del Canal - Madrid
- Les 4 et 5 avril 2019 à l’Opéra de Dijon
- Les 09 et 10 avril 2019 au MC93 - Maison de la culture de Bobigny
Crédit-photo : Maarten Vanden Abeele


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