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Still life today : la guerre à domicile

Still lifePar Christian Kazandjian - Lagrandeparade.fr/ Avec "Still life today", Emily Mann donne à voir les fêlures provoquées par les guerres dans les Etats-Unis d’aujourd’hui.

Sur scène le trio classique : l’homme, l’épouse, la maîtresse ; deux chaises, espace du foyer et un fauteuil en regard. Serait-on dans la classique configuration du théâtre de boulevard ? Dès les premières répliques, toute forme de doute s’envole. Mark, un marine de l’US Army, est rentré d’Afghanistan. Il a la tête pleine de bruit et de fureur et ses malles débordent de trophées et souvenirs. Il est chez lui, mais le chant lancinant d’un muezzin le renvoie sans cesse dans les déserts du Moyen-Orient. Il déplore la perte d’amis, ceux tués là-bas et un autre, le plus proche, abattu lors d’un hold-up (Mark lui-même a fait dans la dope au retour). C’est comme si ces vétérans âgés d’une vingtaine d’années ne pouvaient plus s’intégrer. Mark bat sa femme Cheryl enceinte, lui impose des diners pantagruéliques avec des dizaines de potes, alors qu’ils manquent d’argent. Lui vit dans un monde de violence qu’il n’a pas quitté, se saoule, se bat à tout bout de champ. Elle pense à le quitter, mais ne peut pas.
La maîtresse, Nadine semble représenter pour lui ce havre de tranquillité que son foyer ne lui procure plus. Belle pousse, un rien hystérique et écervelée, elle vit un amour fou, aveugle presque pour Mark, loin d’un époux qui a fuit le foyer et leurs trois filles. Elle accepte sans le condamner tout ce qu’il a fait. Et ce qu’il a fait là-bas ce ne sont rien moins que des abominations qu’il se complaît à ressasser : assassinat d’enfants, de femmes, tortures. Il dit en avoir joui, sans honte, d’avoir usé et abusé de la puissance de son fusil et de l’impunité qui drape le soldat au front. N’était-il pas un soldat, obéissant, tuant pour…, pour quoi au fait ?
"Still life today" de Emily Mann est une pièce traitant des rapports femme-homme et de la guerre. Car, si les femmes n’en connaissent que des récits, elles doivent aujourd’hui en subir les conséquences, car, la guerre est entrée chez elles et a modifié, à leur corps défendant, leur vision de la société, celle d’un pays marqué par le puritanisme, l’égoïsme, l’exaltation de la force. Nadine, qui vivait sa vie de femme libre, insouciante, se prend à être inquiète pour elle et ses enfants. L’épouse ranime l’image du père décédé, petite fille dont elle attend l’apaisement. Même Mark, entre deux envolées de matamore ayant défié la mort, préférerait briser les genoux de son garçon pour qu’il ne parte pas à la guerre un jour. Ses camarades et lui sont fils des GI du Vietnam ; ils reproduisent les mêmes gestes, les mêmes crimes, malgré l’expérience vécue par la génération précédente. Il s’interroge sur sa culpabilité puis conclut qu’il est coupable et non coupable : coupable au nom de la morale, et innocent aux yeux du pouvoir. Son pays a engagé cette guerre-là et lui, les deux femmes de sa vie en sont citoyens, comme le suggère Born in the USA, la chanson de Springsteen qui efface à la fin le chant du muezzin.
Le décor dépouillé oblige à se concentrer sur l’écran où le marine projette les photos qu’il a faites. Images de corps mutilé, d’enfants gazés : horreur absolue. Images toutefois utiles quand la télévision ne livre que des vues lointaines d’incendie, de « feux d’artifice », confinant l’information à un jeu vidéo. La guerre est entrée chez les protagonistes, a changé leur regard sur le monde ; à notre tour, spectateurs, d’être confrontés à une réalité pesante, cruelle et inhumaine. Beau travail de Pierre Laville qui dirige trois jeunes comédiens dont le jeu tout de nuances, entre tendresse et fureur, brosse des personnages d’une criante humanité.

Still life today
De Emily Mann
Mise en scène : Pierre Laville
Avec Manon Clavel, Antoine Courtray et Ambre Piétri

Dates et lieux des représentations: 

- Jusqu'au 19 mai 2018 Théâtre les Déchargeurs , Paris 1er (01.42.36.00.50).

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