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Je voudrais qu'un livre m'attende quelque part

PaulinePar Catherine Verne - Lagrandeparade.fr/ Je me suis dit qu'il existait quelque part, forcément, un livre tout à fait à part des autres au sens où peut-être pourrait-il tous les contenir. Non pas à la façon dont le pavé d'une encyclopédie relie entre eux les pans compilés du savoir civilisé, les juxtaposant tels des insectes des plus communs aux plus rares sur les carnets de naturaliste, boulimique nostalgique des rayonnages étiquetés de Littré. Non pas à celle, encore que plus excitante, j'avoue, d'un grimoire aux innombrables volumes sous une seule reliure de cuir entrecroisés, feuilles volantes comprises, noircies de consignes contradictoires et raturées, grimoire qui renfermerait le secret des alchimistes obscurs qui ont, ainsi que tout le monde le sait, transformé le plomb en or maintes fois sous l'œil aigre d'envie de collègues moins chanceux ou moins brillantissimes. Non pas à la façon d'un index résumant sèchement toute la rondeur du monde en un algorithme ou deux, étayé de démonstrations mathématiques dont la langue pour être pourtant universelle m'échapperait en totalité et pas seulement en fraction. Non pas à la façon lyrique d'un recueil de poèmes à la surface trompeuse, laissant croire en ingénu à sa simplicité bienveillante, voire naïvement bon enfant, qui, sous couvert de lettres à une rose éclose de la veille, dénoncerait la vanité de tous les jardins de Babylone et Gomorrhe en termes plus hermétiques somme toute que géniaux. Non pas à la façon, plate et implacable d'un dépliant de cartes routières, quadrillant la carte du tendre en en contraignant les spirales et les lignes de fuite, comme si l'amour était de ces phénomènes qu'on convertit à la dimension du plan.
Non pas à la façon d'un mode d'emploi en dix-huit langues, y compris l'inuit et le bambara, qui, planche graphique à l'appui, dissèque sous tes yeux le ressort mécanique du vivant comme une notice d'écran plasma te met en garde contre d'éventuelles erreurs de montage ou les survoltages électriques. Non pas à la façon d'un journal intime égrenant à force détails les sordides rebondissements d'un laborieux dépucelage ou les lendemains peu glorieux d'une première cuite, l'effet que fait à quinze ans la lecture de Nietzsche sous l'oeil globuleux de la prof de philo ou du Fluide Glacial aux chiottes quand enfin tes vieux les ont libérées dans l'odorante intimité républicaine de la sacro-sainte famille.
Non pas à la façon d'une bible moite de toutes les paumes pécheresses qui l'ont en tremblant d'expier dévotement serrée, d'un missel sur plusieurs générations frotté aux bancs de l'église où l'on a été baptisé, confessé, marié. Non pas à la façon d'une BD dont les images réclameraient une légende à la légende pour mieux suivre l'Histoire, dont les bulles échappées s'évanouiraient en l'air quand on secoue sa couverture rognée où luit encore une tache de confiture faite à cinq ans quand la tartine à l'époque déjà tombait invariablement du mauvais côté. Non pas à la façon de tout ce que j'aurais lu, parcouru, contemplé, adoré, renié, en aucune façon de moi déjà éprouvée à vrai dire, d'une façon inédite comme le livre lui-même si ça se trouve à l'état de gestation encore dans l'esprit du géniteur ou de la génitrice qui le livrera au monde, comme la parole plus espérée qu'aucune et plus libératrice que jamais, le livre lui-même si ça se trouve pas encore, à cette heure où je le cherche en sueur et fiévreux, imprimé.

Dessin d'Arnaud Taeron - PAULINE. Le site d'Arnaud Taeron

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