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Le suspendu de Conakry : Jean-Christophe Rufin, gloire à l’anti-héros !

RufinPar Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / Est-ce parce qu’il a vécu mille et une vies que Jean-Christophe Rufin a été élu en 2008 à l’Académie française ? A 66 ans et depuis une entrée en littérature dans les années 1980 puis un prix Goncourt pour « Rouge Brésil » (2001), il figure régulièrement dans les meilleures places des tops et autres hits des ventes. Surtout, il s’est affirmé au fil du temps comme un écrivain « tout terrain ». Polyvalent, il peut passer du roman à l’essai, sans oublier les carnets de voyage ou le récit historique (comme l’an passé avec « Le Tour du monde du roi Zibeline »). En ce printemps, il revient avec « Le suspendu de Conakry » mais cette fois, il s’essaie à un genre nouveau : le polar. Que ses fans se rassurent, Rufin n’en est pas pour autant devenu un écrivain « noir »- dans cette nouvelle livraison, on retrouve encore et encore ce qui fait son charme : cette matière vivante conséquence de ses vies de médecin, humanitaire, attaché culturel, militant politique, diplomate…

« La foule regardait le corps suspendu. Une ligne continue d’Africains, hommes, femmes, enfants, occupait le quai et toute la digue jusqu’à la bouée rouge qui marquait l’entrée de la marina de Conakry. Les regards se portaient vers le sommet du mât… » Premiers mots, premières lignes du « Suspendu de Conakry »- immédiatement, l’auteur embarque le lecteur. La police est là, il lui a fallu une vingtaine de minutes pour arriver. Qui est le « suspendu » ? Un homme blanc- on apprend qu’il est richissime, que depuis quelques semaines il « entretenait » une jeune et pauvre Guinéenne ; elle sera la première soupçonnée… Mais surtout, Jean-Christophe Rufin lance, dans on univers d’aventuriers, un nouveau venu. Un certain Aurel Timescu. Un de ces personnages aux belles allures d’anti-héros. Un de ces personnages dont l’Académicien français range parmi « les losers dont le génie n’est pas forcément visible tout de suite ». C’est bien là le moins qu’on puisse dire d’Aurel…
D’origine roumaine, Aurel Timescu est diplomate. Très précisément, consul de France à Conakry, capitale de la république de Guinée. Il s’ennuie ferme, donc il va s’intéresser à cette histoire de l’homme mort suspendu au mât de son voilier. Accident ? Crime ? Ah ! Timescu… un vrai bonheur pour tout créateur… Imaginez : voilà un homme qui s’ennuie dans son boulot (ça, d’accord, ce n’est pas spécialement rare !) et qui, en toute saison, se balade couvert d’un vieil imperméable. « Une élégance de Mittel Europa, selon Jean-Christophe Rufin, ancien ambassadeur de France au Sénégal et en Gambie (2007- 2010). Oui, il y a en Afrique des gens qui ne veulent pas vivre en Afrique. D’une certaine manière, ce personnage est toujours en Roumanie. Il aime beaucoup les Africains, mais en revanche il n'aime pas la chaleur, il n'aime pas le soleil... Et ça, ce n'est pas si rare en Afrique ». On ajoutera que ledit Aurel T. a été placardisé- dans le monde de la diplomatie, ça n’est pas vraiment bon d’être souvent alcoolisé, de déborder d’émotivité et de s’habiller toute l’année comme si c’était un immense hiver. Oui, Aurel Timescu est le paria de la diplomatie française à Conakry…
N’empêche ! anti-héros magnifique, comme pour gommer son ennui, il va donc se lancer dans la recherche du meurtrier (ou meurtrière, on ne dira rien…) du « suspendu de Conakry ». Théoriquement, il n’a pas le droit de mener enquête, mais il a toujours rêvé d’être policier et là, il profite de l’absence de sa hiérarchie pour « faire le policier ». Dans l’histoire, il va être accompagné par Jocelyne, la bellissime sœur de la victime… Mais en bon et grand écrivain, Jean-Christophe Rufin ne se contente pas de dérouler une enquête « policière »- ce qui, souvent dans ce genre qu’est le « polar », ne relève pas de la grande originalité. Avec son Aurel Timescu (qu’on va retrouver dans d’autres aventures dans de prochains livres, promet l’auteur), l’ancien diplomate en profite pour emmener le lecteur dans les bas-fonds de Conakry. En grand connaisseur et amoureux de l’Afrique, Rufin ponctue ce « Suspendu de Conakry » de touches éclairantes sur la lâcheté humaine, le racisme sourd et omniprésent, l’administration gangrénée par la corruption, la pauvreté immense des autochtones… et tout cela, l’air de rien avec un anti-héros dont on ne cessera jamais de faire l’éloge… Oui, gloire à Aurel !

Le suspendu de Conakry
Auteur : Jean-Christophe Rufin
Editions : Flammarion
Parution : 28 mars 2018
Prix : 19,50 €

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