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Brèves de Télé : le pire de A à Z

Brèves de téléPar Catherine Verne - Lagrandeparade.fr/ A faire figurer dans une catégorie inédite de la critique littéraire qu'on pourrait intituler "Brèves de l'édition, le pire..." L'humoriste Eric Dussart rassemble toutes les perles des émissions diffusées à la télévision française. Toutefois le voilà confronté à un matériau bien ingrat : les trouvailles des bacheliers qu'on relève dans les copies chaque année en juin, ont, en comparaison, une saveur ingénue et tordante, le non-sens britannique de certaines stars relève d'un humour hautement spirituel, les brèves de comptoir sont traversées par une poésie singulière, les mots d'enfant révèlent une intelligence stupéfiante... Bref, nombre de bons mots ont déjà inspiré des compilations de "perles" hilarantes que le monde de l'édition publie joyeusement. Or dans le présent ouvrage, présentateurs, animateurs, candidats à des jeux, invités d'émissions et participants à des reality-show ne font qu'indiquer leur grossière ignorance en histoire, en calcul mathématique ou en grammaire, tout cela sans répit au long de 128 pages, pas seulement ennuyeuses mais surtout inquiétantes quant au niveau de culture générale de l'opinion publique censée être représentée ici. La seule référence correcte qu'on y trouve est la répartition alphabétique des incorrections : A arrive bien avant Z. L'exception qui confirme la règle, en somme. Mais pourquoi focaliser l'attention sur le pire?

 

On hésite à vrai dire, car le pire, est-ce que ce n'est même pas drôle? Ou que c'est en plus d'être trivial, peut-être pernicieux si l'envie en prend le lecteur de "faire comme à la télé", imitant notre modèle de comportement, unique et vénéré devant l'Eternel? La culture française se trouverait du coup exposée à une sorte de syndrome du miroir catodique: "Miroir, O miroir, dis-moi, qui est le plus bête?" A chaque époque sa sorcière, sa pomme... et son angélique proie -laquelle, de tradition, se rebiffe à un moment et nous envoie voler en éclats toute la tyrannie qui l'opprime, si bien qu'on finit par voir exterminer les benêts qui la prenaient pour une oie blanche sans défense. Il semble que tarde l'épisode où ses super pouvoirs lui permettront de faire sauter la prise du câble. En attendant, le selfie télévisuel où l'on se mare/ marre devant le spectacle hypnotique de sa médiocrité a encore de longs jours de succès devant lui sous les chaumières.
Le pire, est-ce que de tels propos sont réellement tenus par de vrais gens, qui ont appris à parler le Français, à le lire et l'écrire, bref suivi l'instruction la plus élémentaire dont ce type de parution dit le cuisant échec? Ou qu'on ait songé à les recenser comme autant de trophées à la gloire de la bêtise télévisuelle, comme si la chose présentait quelque pertinence dont on put sincèrement se réjouir? Qu'on ait trouvé un éditeur candidat au naufrage solidaire? Qu'on ne croit pas davantage à propos de publier le meilleur de ce dont l'humain est capable, parce que le pire... ça va, on donne déjà assez, non? Ou bien, cherchons ailleurs: le ridicule et la moquerie grossière auraient-ils des vertus thérapeutiques cautionnant une telle initiative? Quelque chose qui s'apparente à l'effet cathartique peut-être, à l'instar de la tragédie grecque censée exorciser les pulsions de son public quand il prend parti corps et âme en tremblant de rage contre Créon et de compassion pour Antigone? Ici s'agirait-il de proposer au lecteur lambda des pages et des pages d'inepties de sorte à le rassurer sur son propre niveau de culture du seul fait avéré qu'il y a plus bête que lui? Mais n'est-ce pas de mauvais goût de rire au dépens de personnes en focalisant sur le ridicule où elles se sont jetées involontairement? N'est-ce pas déplacé de rire du français populaire très rural et imagé des participants à tel ou tel reality-show? Diverses traditions culturelles très respectables colorent l'expression populaire, la chose n'est pas nouvelle et ne prête pas à rire, si on veut bien en souligner plutôt le charme bénéfique et le particularisme riche. Triste mentalité que celle qui jubile parce que d'aucuns associent l'Edit de Nantes à Napoléon et pensent qu'un agneau est un jeune cheval - pour citer des exemples-types de "Brèves de télé"- tandis qu'eux, élus entre les élus, maîtrisent leurs déclinaisons latines et le théorème d'Archimède sans doute, ou puisent à quelque vertueuse carrière intellectuelle un flatteur mérite qui les distingue du lot ignare. Quoi qu'il en soit, écarté l'hypothèse narcissique, voire la névrose égocentrique associée aux troubles de l'estime de soi, il est difficile de trouver à la consultation de pareil livre un intérêt autre que sociologique, de ceux qu'on prête à l'observation du nivellement culturel par le bas. Et encore, généralement, quand l'objectif d'un inventaire est scientifique, on en conclut quelque chose de constructif concernant la problématique traitée. Souhaite-t-on se faire une idée du manque de culture ambiant en France, une simple photographie du quidam inculte est à la portée de tout un chacun, point besoin du présent best-of pour en juger, il suffit de sortir dans la rue, ou, plus facile encore: d'allumer la télé. Gageons que toute l'édition littéraire ne s'y mette pas, dans le genre "je m'aligne par le bas": on aimerait encore à La Grande Parade pouvoir ouvrir un ouvrage qui nous réjouisse par ce qu'il élève son lecteur et qui n'ait pas le mauvais goût d'encourager à applaudir au pire.

Brèves de télé

Auteur:Eric Dussart
Editeur: Hugo et Cie
Parution:7 janvier 2016
Prix: 10 euros

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